Un conte de Noël de Charles Trenet.
Le petit Jacques était un jeune garçon de douze ans, pensionnaire dans une
institution religieuse. Cette année-là, comme de coutume, après la
grand-messe du 25 décembre, tous les élèves partirent en vacances.
Seul le petit Jacques resta à l’institution. Pourquoi ? Tout simplement et
malheureusement parce que, quelques jours auparavant, il avait reçu une
lettre de ses parents.
“Mon cher petit, écrivait sa mère, tu es ass ez grand à présent pour que je
ne te cache pas une mauvaise nouvelle. Papa est très malade. Il doit
immédiatement quitter la maison pour aller dans un sanatorium. Je comprends
toute ta peine, parce que tu ne viendras pas en vacances. Mais je dois
accompagner papa à la montagne. J’ai écrit à Monsieur le Supérieur de bien
vouloir te garder pendant la période des fêtes qui coïncide pour Bonne
Maman et pour moi avec la plus rude épreuve de notre vie.”
Et c’est ainsi que Jacques resta à l’Institution Saint Louis, découvrant
soudain un aspect inattendu de ce grand collège vide, avec ses longs
couloirs qui ne donnaient que sur les salles de classes fermées.
Le premier jour, il le passa à l’infirmerie avec Sœur Augusta. C’était une
bonne vieille religieuse, très gaie malgré son grand âge. Elle avait été
infirmière pendant la guerre. Elle était sourde. Elle parlait fort!
- Alors, petit Jacques, nous allons réveillonner tous les deux, le 31
décembre?
- Oui, ma sœur, répondait Jacques qui se sentait perdu et comme malade dans
cette salle d’infirmerie qui avait des odeurs de remèdes et d’encens, car
elle n’était pas loin de la chapelle.
- Tu t’ennuies, mon Jacquot et puis tu n’es pas malade. Va voir la crèche à
la chapelle. Tu verras comme elle est jolie. C’est moi qui ai cousu la robe
de la Vierge et qui ai peint les yeux du petit Jésus.
Jacques descendit à la chapelle. Il ne l’aurait jamais cru si grande. Il se
dit:
- Je vais faire une prière pour que mon père guérisse et que maman revienne
vite avec lui à la maison.
Il s’agenouilla sous une statue de Saint Antoine qui voisinait avec celle
de Sainte Léone. Mais, au milieu de la prière, il lui sembla entendre la
voix de Sœur Augusta qui disait:
- Va voir la crèche! Tu verras comme elle est jolie! La crèche! Il l’avait
vue la veille pour la Messe de Minuit, de loin, car il était dans la
division des petits, qu’on laissait toujours près de la porte.
A présent la crèche s’offrait à son regard et brillait de toutes ses
lumières, pour lui tout seul. Qu’elle était belle! Sœur Augusta n’avait pas
menti. La paille était de la vraie paille et les flocons de neige, c’était
sans doute encore Sœur Augusta qui les avait confectionnés avec du coton à
pansements. Il n’y manquait rien. Et le petit Jésus souriait avec tendresse
à la bonne Vierge Marie.
Jacques s’agenouilla encore et murmura:
- Bonne Vierge qui êtes au Cieux, faites que mon père guérisse et que je
retrouve ma famille aux vacances de Pâques!
- En attendant, va visiter la crèche! Va visiter la crèche!
Qui avait dit cela? Jacques eut l’impression qu’il y avait quelqu’un
derrière lui. Il se retourna. Et il vit, oui, un ange, un ange vêtu de la
même robe bleue que celles des anges peints au plafond de la chapelle.
- Non, tu ne rêves pas, dit l’ange. Je sais que tu es très malheureux, que
tu es peut-être ce soir le plus malheureux petit garçon du monde. Je
voudrais te faire oublier ta peine. J’ai la permission de le faire et
d’entrer dans la crèche avec toi et de la visiter, cette crèche, avec
toi.
- Entrer dans la crèche? dit Jacques. Mais vous n’y pensez pas, Monsieur
l’Ange? Voyez, je suis grand, moi! Et la crèche, elle est toute petite!
- Qu’à cela ne tienne, dit l’ange d’une voix encore plus douce. Donne-moi
la main et, crois-moi, nous allons visiter la crèche. Tu me crois?
- Je te crois, dit Jacques.
Et soudain, il sentit qu’il rapetissait, ou plutôt il vit la crèche
grandir. Tout était à présent grandeur nature: l’âne et le bœuf vivaient,
le petit Jésus aussi, la Sainte Vierge aussi et Saint Joseph! Oh! il allait
et venait en portant la paille pour réchauffer le bébé ou bien en donnant
un coup de balai dans l’étable. Il faisait bon dans cette étable. Et
l’odeur saine des bêtes était douce à respirer. Cela changeait avec les
odeurs de l’infirmerie. L’ange murmura:
- Nous n’avons pas beaucoup de temps, pressons nous! Regarde, là-bas à
travers la fenêtre. Que vois-tu?
- Je vois la campagne, dit Jacques, les collines, le clair de lune...
- Tu n’entends pas une chanson?
- Non.
- Ecoute bien cette chanson: tu la chanteras un jour. Ecoute bien!
Et Jacques, en effet, entendit une chanson, ou plutôt il se mit à fredonner
la chanson qu’il entendait en lui.
(D’abord comme dans un rêve, puis nettement, on entend « La plus belle nuit
»)
- J’aime beaucoup ta chanson, dit l’ange. Un jour viendra où tu la
chanteras devant beaucoup de monde.
- Et pourquoi devant beaucoup de monde? demanda Jacques.
- La vie te le dira. Mais promets-moi de ne jamais raconter cette aventure
à tes camarades. Plus tard, bien plus tard, tu pourras la dire. Mais pas à
présent. Je vais te quitter. Tu ne me reverras plus. Mais sache pourtant
que je reste toujours près de toi, car je suis ton ange gardien.
Les années passèrent. Jacques retrouva son père guéri et sa mère heureuse.
Il tint sa promesse, le petit Jacques. Jamais il ne raconta cette aventure
à ses camarades, ni à personne.
Il attendit seulement ce soir pour vous la dire.
Car, je pense que vous l’avez deviné, le petit Jacques, c’était moi!
* * *
Diffusé le 25 décembre 1961 sur Europe 1.
Rediffusé à Noël 1966.
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